Dans le domaine des rallyes, il est une catégorie de concurrents très particulière ou la mixité est bien plus présente que derrière le volant tant les femmes sont nombreuses à ce poste. Souvent dans l’ombre, mis en lumière en cas d’erreur, ils sont un rouage essentiel. Ils ont un rôle paraissant parfois austère et ne s’expriment que rarement derrière un micro. Pourtant ils sont de véritables moulins à parole débitant notes, indications, tempo à un rythme effréné souvent à l’aveugle. Vous l’aurez compris, coup de projecteur aujourd’hui sur les copilotes.
Ces hommes et femmes du baquet de droite sont tout autant passionnés que leurs collègues de gauche. Pour prendre le pouls de ces licenciés, direction le sud avec Kevin Deberge, dernier copilote vainqueur du Tour Auto en 2019. Quand on pose la question de son rôle à Kev’, la réponse fuse telle l’annonce d’un gauche ferme 90 pas corde: «on est en quelque sorte le psy du pilote,on réagit au moindre changement d’attitude de notre pilote,» s’amusait le jeune papa. «au-delà de l’annonce des notes en spéciale, un copilote s’occupe de la gestion des émotions de SON pilote. On doit également s’occuper de la gestion du temps en liaison, aux tables de pointage, à l’assistance, gérer les documents administratifs lors des vérifications, en course à la demande des officiels…on fait également office de GPS…».
Loin de s’arrêter à ces essentiels, le navigateur poursuivait: «Avant d’aller pointer à un CH de départ, on doit ajuster les pressions, vérifier le bon état des pneumatiques, régler les suspensions…pareil à l’arrivée du chrono. Dès qu’on sort de la zone du CH, le copilote descend de nouveau de la voiture pour prendre et noter les pressions et tout ça quelle que soit la météo. On a la chance de ne pas avoir de neige à la Réunion!» concluait-il dans un franc sourire.
Chaque équipage constitué possède ses propres habitudes de travail. Le copilote est souvent résumé à sa fonction d’annonce de notes dans l’habitacle pour permettre au pilote d’exercer son art et réaliser la meilleure performance possible. «Avec Damien (Dorseuil, son pilote NDLR) nous avons une routine bien établie lors des reconnaissances.» expliquait Kevin. «Lors du premier passage de reconnaissances, c’est Damien qui donne ses notes et je note tout la tête baissée sur le cahier. Lors du deuxième passage, j’apporte ma lecture à propos des angles, du changement de rythme et on apporte ensemble les corrections et précisions. Ensuite pour le troisième passage de recos, on valide le tout.» détaillait-il. Toutefois, il est parfois nécessaire de vérifier une fois encore le travail de reconnaissance et l’équipage opte pour un complément d’informations: «en cas de besoin, si on a le moindre doute ou modification après le troisième passage, on travaille sur la vidéo le soir en régime accéléré sur certaines sections. Depuis très longtemps, on a l’habitude de filmer les recos non pas pour faire du «par cœur» mais bien pour valider les enchaînements…»
Au-delà de l’aspect technique du travail du copilote, il y a également un gros travail humain. Le navigateur se révèle une véritable nounou en permanence aux petits soins pour son pilote. «Un pilote pour pouvoir exercer son talent doit se concentrer à 100% sur son pilotage. Il a nos vies en mains,» expliquait Kevin. «C’est donc au copilote de veiller à tout. Par exemple, c’est moi qui garde un œil sur la montre. Je prends soin de faire boire de l’eau à mon pilote toutes les heures. Je m’occupe de son alimentation en parcours de liaison avec des aliments sucrés. Vu l’adrénaline produite en spéciale, il est impératif de le recharger régulièrement!»
Quand on évoque avec notre emblématique copilote le surnom de «sac de sable» souvent donné aux copilotes, Kevin s’en amuse franchement. «Les rares fois où un pilote n’écoute pas son copi pour une raison ou pour une autre, la sanction est immédiate: les chronos s’effondrent et encore, ça c’est le moindre mal. La sortie de route est possible…» assurait le navigateur. «En fait on est condamnés à s’écouter et respecter le travail de l’autre. Non, on est loin d’être des sacs de sable servant de lest!»
Comme nous l’indiquions, les copilotes n’ont que rarement voix au chapitre auprès des médias. Celà fait partie du jeu selon Kevin: « on ne tient pas ce poste pour exister médiatiquement. Mais les sensations en course sont les mêmes que celles du pilote. C’est vraiment la même chose. Temps scratch ou victoire et même abandon ou soucis, un pilote et SON copilote, c’est vraiment un tout!»
La question paraissait légitime: un équipage de rallye est-il un tandem, un duo ou un couple? C’est dans un grand éclat de rire que le tamponnais répondait: « clairement comme un couple!» s’amusait Kevin. «Quand je fais des erreurs, ce qui arrive à tout le monde, Damien me couvre et ne dit jamais qu’une contre performance est de ma faute. De la même manière, s’il commet une erreur, je ne dirais rien…en tous cas devant les caméras ou des personnes extérieures au team. C’est une des raisons pour lesquelles peu de caméras embarquées circulent lors d’erreurs. On se dit de ces trucs parfois dans la voiture! On a l’habitude de laver notre linge sale en famille!» expliquait l’homme de droite. «Comme dans un couple, on ne se dispute pas devant tout le monde, mais croyez-moi, il arrive qu’on se dispute! Heureusement celà ne dure pas longtemps. Une fois qu’on s’est dit ce que l’on devait se dire, on passe à autre chose…au CH suivant!».
Comme dans un vrai couple finalement. Se dire les mots pour éviter les maux…